Éviter la révolution – par Charles Hugh Smith.

Voici ma 500ème publication, en bientôt quatre ans: une nouvelle traduction de mon économiste préféré – qui me confirme à l’instant l’impression que j’avais en le lisant: tout ça le rend plutôt amer.

Mes voisins français, qui sont plongés dans le cas de figure décrit ci-dessous ont eux aussi de quoi se sentir amers. Cet article et le suivant sont à leur intention.

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Éviter la révolution

Si les dirigeants choisissent une politique de relations publiques à l’eau-de-rose et la mise en place des réformes éphémères dans l’espoir que tout se passera bien, ces subterfuges risquent de pousser le mécontentement au-delà du point de contrôle.

Charles Hugh Smith

8 avril 2024

Quoi que l’on puisse dire ou penser de la classe dirigeante, elle a tendance à avoir un sens aigu de l’auto-préservation. La capacité à présenter avec un visage impassible des visions optimistes de soleil et de licornes est certes précieuse, mais précieuse aussi est la capacité à sentir que raconter des foutaises ne fonctionne plus et qu’il faut faire quelque chose pour éviter un effondrement de confiance susceptible de mettre un terme à leur carrière.

En règle générale, la capacité à maintenir une confiance illusoire dans le fait que tout va bien se passer a tendance à se terminer très mal pour la classe dirigeante. Quelle que soit la sincérité avec laquelle on le profère, « qu’ils mangent de la brioche » ne résout pas les asymétries extrêmes qui engendrent le désordre révolutionnaire. Il faut quelque chose de plus, quelque chose qui réduise les asymétries de richesse et de pouvoir ou qui donne l’impression de le faire.

Pour éviter la révolution, il faut une action qui profite à ceux pour qui le statu quo ne fonctionne plus. Si l’emprunt et la distribution d’« argent gratuit » fonctionnent pendant un certain temps, cette prodigalité génère sa propre dynamique déstabilisatrice, de sorte que la réduction des asymétries de richesse et de pouvoir finit par exiger des dirigeants qu’ils s’approprient une partie des avantages et du butin de l’élite financière.

Étant donné que la classe dirigeante est soit redevable à l’élite financière, soit membre des deux clubs, les dirigeants sont rapidement déclarés « traîtres à leur classe » tandis qu’ils agissent pour empêcher le renversement de l’élite financière prédatrice qui a poussé les asymétries à des extrêmes déstabilisants.

En d’autres termes, les dirigeants qui sauvent l’élite financière des conséquences de sa propre rapacité n’obtiendront aucun crédit de la part de ceux qu’ils sauvent. Plutôt que de comprendre que renoncer à 10% de leurs gains permet de préserver les 90% restants, la cupidité et l’orgueil infinis de l’élite financière l’enferment dans un fantasme délirant selon lequel sa richesse et son pouvoir sont « mérités » et donc intouchables.

Ils ignorent commodément que le système est truqué de manière à ce que chaque lancer soit une balle douce et que chaque coup de base devienne un coup de circuit. [NdT. voir les règles du base-ball ici]

Le fait que ne rien faire puisse conduire à un aller simple pour l’île du Diable délivré par un gouvernement révolutionnaire n’est pas pris en compte. Le fait qu’ils pourraient bientôt se battre pour les MRE [NdT. rations de survie de l’armée US] occasionnellement lancés d’un avion ne pénètre pas leur chambre d’écho imbibée d’orgueil et de privilèges. La tâche ingrate de sauver leur propre classe incombe aux dirigeants.

Des politiques qui auraient été rejetées d’emblée parce qu’elles étaient politiquement impossibles sont normalisées sitôt que les dirigeants s’empressent d’éviter la révolution. Le chemin historique qui mène de la complaisance au déni et aux politiques extrêmes est bien connu: les dirigeants tentent d’abord de faire miroiter soleil et licornes. Lorsque cela ne suffit pas à satisfaire la foule privée de ses droits, les dirigeants publient des décrets grandiloquents qui suggèrent que « l’espoir et le changement » sont au coin de la rue.

Une fois que ce stratagème bien rodé n’a pas permis d’apaiser les troubles sociaux, les dirigeants acceptent que « lorsque les choses deviennent sérieuses, il faut mentir », et c’est ainsi qu’ils mentent, d’abord pour calmer les esprits amers, puis pour gagner du temps.

Finalement, il faut prendre des mesures concrètes, et c’est là que les choses se gâtent. Tout choix politique invite les erreurs: ne rien faire peut déclencher un désastre, mais en faire trop ou trop peu aussi. Le luxe de calibrer une réponse n’est plus disponible, et les politiques extrêmes sont donc jetées au mur jusqu’à ce que quelque chose colle. [NdT. expression anglaise pour « essai/erreur », inspirée par le jeu de lancement de spaghettis au mur]

Ceux qui conseillaient la prudence sont licenciés, car leurs conseils ont conduit à la crise actuelle. Ceux qui conseillaient des réponses radicales sont promus et laissés libres de mettre en œuvre ce qu’ils prétendent être la solution magique.

Hélas, à ce stade avancé, la magie se fait rare, et les politiques extrêmes entraînent des conséquences de second ordre que personne n’avait prévues, à l’exception peut-être des voix trop prudentes qui n’avaient pas compris que l’option des choix judicieux s’était dissipée depuis longtemps, et que les seules options restantes étaient mauvaises, voire pires que simplement mauvaises.

Les asymétries extrêmes de richesse et de pouvoir qui ont engendré la crise sont finalement compensées par des politiques tout aussi extrêmes conçues pour éviter le renversement des élites dirigeantes. Si ces politiques rééquilibrent ce qui a été laissé en déséquilibre, l’ordre et la stabilité peuvent être lentement rétablis.

Si les dirigeants choisissent une politique de relations publiques à l’eau-de-rose et la mise en place des réformes éphémères dans l’espoir que tout se passera bien, ces subterfuges risquent de pousser le mécontentement au-delà du point de contrôle, et les prédictions concernant la suite des événements deviennent une folie: au-delà de cet horizon, tout devient possible.

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