Professeurs.

Lors de l’examen final de mes études primaires (ça fait donc bientôt cinquante ans), nous avions reçu la visite d’un inspecteur de l’Education Nationale, qui débarqua au moment de la partie « explication de texte » – qui avait pour sujet l’histoire poignante d’une maman qui pleure parce que sa fille part fâchée à l’école sans l’embrasser. C’est vrai qu’on ne devrait pas se fâcher, surtout si ça fait de la peine aux autres.

La phrase à analyser était « Des joues coulent sur les joues qu’on n’a pas embrassées. »

La question était : « Dans la phrase, qui est ‘on‘? »

Vous n’êtes pas plus bêtes que moi, « on » c’est la fille évidemment. Mais non, pas pour notre inspecteur, qui pense que « on », c’est la maman. Notre professeur abonde dans ce sens et je me vois ainsi perdre un point du fait de cette tragique méprise. Je lève donc le doigt et tente de dissiper le malentendu mais pas du tout, notre professeur se range à l’avis son inspecteur et m’envoie gentiment paître.

J’insiste. J’explique. Je prouve.

Ça commence à s’énerver sur l’estrade. On me fait taire, dans le registre « Ah mais ça suffit maintenant. » Après que ce cher inspecteur ait pris congé de nous, je reviens à la charge. Re-énervement de notre professeur, qui s’arrête soudain au milieu d’une phrase. Et qui, dans le grand silence qui s’ensuit, prononce des mots que j’entends encore, cinquante ans plus tard, résonner dans le grand silence de la classe: « Ah, mes amis, je crois que c’est lui qui a raison. »

Monsieur Coupez n’était pas tout jeune. Il nous a vraisemblablement quittés depuis. Je revois encore sa bonne tête, son bon regard derrière ses lunettes en écaille, son costume impeccable et ses cheveux gris bien peignés.

Je pourrais ici dire que je lui rends un hommage posthume, que je salue son courage et son honnêteté. Je pourrais dire la même chose pour le Pr Montagnier, qui laisse aussi la trace d’un homme intègre et courageux, pour qui j’éprouve le même sentiment d’admiration et de reconnaissance. Je pourrais dire que je prie pour leurs âmes mais comme je suis déjà certain qu’elles sont dans un très bel endroit, je ne ferai rien de tel.

Ce que je dirai, c’est que je les serre très fort dans mes bras d’élève un peu rebelle, et qu’ils me manquent beaucoup.

Aussi incroyablement prétentieux que ça paraisse, je dois aussi dire que je n’ai aucun mérite à avoir raison. C’est un talent que j’ai reçu de naissance et qui est resté parce qu’on ne m’a jamais appris à me taire. Quand je ne sais pas, je la ferme et j’écoute. Quand j’ai raison, je le dis et j’attends qu’on m’écoute. J’ai raison par manque d’éducation. C’est un genre de défaut. Monsieur Coupez m’a appris que ça pouvait être une qualité.

Mes condisciples m’ont aussi appris une leçon pour laquelle je devrais les remercier. Aucun d’entre eux n’a proféré le moindre son pour me soutenir ou pour revendiquer quoi que ce soit.

Et ils avaient tous la bonne réponse.

« On », c’est la fille.

Vous savez maintenant pourquoi je fais ce blog.

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