Deux articles récents de Charles Hugh Smith, auteur déjà abondamment publié sur ce blog. Voici le premier, qui traite des systèmes complexes – et de leur échec. Le deuxième traitera de l’impasse dans laquelle s’est fourvoyée l’économie.
Traduction
Que se passe-t-il lorsque la complexité s’effondre?
4 mai 2022
Ceux qui ont les yeux rivés sur les apparences se feront croire que tout va bien et que tout va s’arranger tout seul. Ceux qui jettent un coup d’œil derrière le rideau fuiront à toute vitesse.
Lorsque les finances se contractent, il y a deux options: réduire les dépenses ou augmenter les revenus. Les monopoles, les cartels et les gouvernements ont la possibilité d’augmenter leurs revenus en augmentant les taxes ou le prix des biens et des services, car les utilisateurs/clients/contribuables n’ont pas d’autre choix. Pour tous les autres, il faut réduire les dépenses.
La façon durable de réduire les dépenses exige en général de réduire les sources de dépenses, et la complexité qu’on trouve dans les institutions et les entreprises est une source systémique de dépenses. Mais comme il est difficile de diminuer la complexité, cet objectif est rarement poursuivi, sauf si la seule option restante est la faillite ou l’effondrement.
Le problème est que la complexité est défendue par de nombreux groupes d’intérêt et qu’aucun d’entre eux ne souhaite la réduire de façon radicale. En conséquence, c’est la complexité qui est protégée tandis que les fonctions essentielles de l’institution sont sacrifiées.
J’ai publié les graphiques ci-dessous, qui illustrent l’expansion extraordinaire du nombre d’administrateurs dans l’enseignement supérieur et les soins de santé, dans le contexte de l’effet de cliquet [NdT. voir ici] et du surdimensionnement bureaucratique.
L’effet de cliquet se présente comme suit: les coûts et la complexité ne font qu’augmenter, ils ne diminuent jamais, car les organisations sont optimisées pour s’étendre, et non pour rétrécir, et il n’existe donc aucune voie institutionnalisée pour réduire la complexité et les coûts.
Tout le monde réclame un budget plus important et un assistant supplémentaire. Personne ne réclame une réduction radicale du budget et du personnel.
Cela soulève une question que peu de gens semblent poser: que se passe-t-il lorsque la complexité s’effondre?
Pourquoi la complexité s’effondre-t-elle? La réponse est simple : elle coûte trop cher, et les coûts de l’offre et de la main-d’œuvre augmentent. Il faut que quelque chose casse, et ce quelque chose c’est la complexité.
La complexité nous est utile lorsqu’elle augmente radicalement la productivité. Mais ce type de complexité est rare. La plupart des complexités sont des éléments de gaspillage et de friction qui ne servent qu’à eux-mêmes et réduisent la productivité du travail et du capital.
Le secteur du travail se voit comprimé depuis 45 ans, il faut augmenter aujourd’hui le coût du travail pour permettre aux travailleurs de faire face à un coût de la vie plus élevé.
Les coûts continueront à augmenter inexorablement pour une autre raison: les chaînes d’approvisionnement ont été optimisées pour un monde idéal d’expansion sans fin. Barry Lynn, directeur exécutif de l’Open Markets Institute, a bien résumé cette dynamique : « Les entreprises ont construit le système de production le plus efficace que le monde ait jamais vu, parfaitement calibré pour un monde dans lequel rien de fâcheux n’arrive jamais. »
Ça coûtera une fortune de recalibrer toutes les chaînes d’approvisionnement des entreprises pour faire face à tous les problèmes qui surgissent.
Ces coûts seront répercutés sur les consommateurs, mais comme le pouvoir d’achat des salaires diminue, il y aura des limites à ce que les consommateurs seront en mesure de payer.
Ces coûts plus élevés feront baisser les bénéfices, ce qui aura pour effet de réduire l’emploi et les recettes fiscales.
Les entreprises ont deux possibilités: s’accrocher à l’ancien modèle et faire faillite (ou sombrer dans l’insignifiance) ou diminuer radicalement les coûts en réduisant la complexité improductive.
Les entreprises ont toujours été en mesure d’emprunter des sommes considérables pour masquer leur insolvabilité, mais maintenant que le coût du crédit explose, cette porte vers le paradis des entreprises-zombies s’est fermée.
Privées de la possibilité d’emprunter à bas prix, les entreprises devront s’adapter ou périr. Oui, ce sera vraiment aussi simple que ça. Les entreprises qui brûlent leur capital finissent sans argent et disparaissent.
Les organismes publics sont depuis longtemps optimisés pour accroître leurs recettes et leur complexité, car une économie en expansion accroît également les recettes fiscales. Rien ne booste mieux les recettes fiscales locales qu’une bulle immobilière, et rien ne booste mieux les impôts sur le revenu des États qu’une bulle spéculative sur les actions, les crypto-monnaies, etc.
Mais toutes les bulles éclatent, et les organismes publics sont incapables de réduire leurs budgets, leur personnel et leur complexité, car telle ou telle faction politiquement influente soutient tel ou tel programme. Il n’y a donc aucun moyen de réduire quoi que ce soit sans déclencher une tempête politique, car toute réduction d’un programme considéré comme vache sacrée soulève les passions de ceux qui s’engagent à préserver cette vache sacrée.
Mais sous la surface, les administrateurs protègent leur fief en réduisant le personnel qui effectue le travail réel.
Ainsi, les universités ont supprimé des postes d’enseignants permanents afin de maintenir les postes d’administrateurs.
Les services de santé licencient des médecins et des infirmières afin de maintenir les postes d’administrateurs.
Les services de construction sacrifient les inspecteurs du bâtiment sur site afin de maintenir les postes d’administrateurs.
Et ainsi de suite. Les postes de surveillants de baignade sont supprimés, les heures d’ouverture des bibliothèques sont réduites, etc., tandis que les postes administratifs restent (derrière l’écran des relations publiques) largement intacts pour gérer toute cette complexité et ces batailles politiques.
Le résultat final est que les systèmes critiques seront vidés de leur substance et cesseront de fonctionner. Ceux d’entre nous qui dépendent de ces systèmes devront trouver des solutions de rechange.
Lorsqu’il faut six mois pour obtenir une inspection du bâtiment avant de pouvoir couler une dalle de fondation, le moyen de contourner le problème est de construire la maison: inutile de demander la permission, il suffira de demander de l’indulgence. Ce processus prendra probablement des années.
Lorsqu’il y a six mois d’attente pour voir un médecin, le moyen de contourner le problème sera de payer en liquide.
En d’autres termes, toute la complexité restera fermement en place parce que quelqu’un, quelque part, mènera une guerre politique sans merci pour la conserver, rendant impossible le redimensionnement du système en fonction des ressources disponibles.
Ceux qui ont le pouvoir de protéger leurs emplois feront, afin de se sauver eux-mêmes, le choix non avoué de jeter par-dessus bord tous ceux qui n’ont pas le pouvoir de protéger leurs revenus.
Parallèlement, pour les administrateurs, la solution est évidente: augmenter les impôts et les taxes pour soutirer davantage d’argent à tous ces riches, c’est-à-dire à tous ceux qui possèdent une maison, ont un bon emploi, etc.
Mais de rien, chers ânes fiscaux. Nous avons dû doubler vos impôts fonciers, vos taxes de vente et vos impôts sur le revenu pour financer nos programmes indispensables.
Tout s’écroulera derrière une façade de normalité. Les villes doublent leurs frais de licence commerciale, et elles augmentent d’autres frais (pour le ramassage des ordures, etc.) de 20% par an, année après année. Les vraies crises budgétaires sont encore à venir. Les ânes fiscaux qui en ont assez voteront avec leurs pieds, s’en iront, forçant les villes et les comtés à augmenter les impôts et les taxes des ânes fiscaux restants.
C’est ainsi que la complexité s’effondre. La capacité des services à gérer leurs budgets et leurs employés se dégrade, occultant le fait qu’ils n’ont ni la structure ni la volonté de réduire leur complexité et leurs coûts pour protéger leurs fonctions essentielles.
La conformité et la comptabilité seront concoctées pour maintenir l’apparence désirée, c’est-à-dire donner une illusion de précision dans des rapports financiers épais comme la main.
Les apparences du respect de toutes les exigences de la complexité seront maintenues. Les groupes d’intérêt qui protègent chaque vache sacrée seront apaisés, alors même que le système qui soutient tous ces programmes-vache-sacrée s’effondrera derrière l’écran des relations publiques.
Ceux qui ont les yeux rivés sur les apparences se feront croire que tout va bien et que tout va s’arranger tout seul. Ceux qui jettent un coup d’œil derrière le rideau fuiront à toute vitesse.

Enseignement.



En vertu de l’effet de cliquet, l’organisation ne sait que s’étendre.
Sitôt que les recettes descendent sous ce grand minimum, le système s’écroule.
Tandis que le budget et le personnel augmentent, le minimum nécessaire pour maintenir le système augmente, ainsi que son inefficacité.

Budget du programme (en bleu) / Coûts administratifs (en rouge)
Expansion
Lancement: budget serré, salaires réduits, bénéfices minimaux, grand esprit de camaraderie.
Croissance: croissance rapide du programme et du personnel; moral au plus haut.
Maturité: « dérive de la mission », syndicats et administrateurs acquièrent le pouvoir politique; les dettes s’accumulent, rivalités.
Contraction
Gonflement: le budget stagne mais les coûts administratifs augmentent; beaucoup de profiteurs et de fraude dans le système.
Coupes budgétaires: abandon du programme tandis que l’objectif devient la protection du budget et les salaires du personnel/compensations.
Echec/implosion: les gens compétents partent à la pension, laissant les incompétents aux commandes; le moral est au plus bas, le chaos et l’échec sont la norme; implosion organisationnelle.
Texte original
What Happens When Complexity Unravels?
May 4, 2022
Those glancing at the appearances will be assured all is well and it will all sort itself out. Those who look behind the screen will move away as fast as they can.
When finances tighten, there are two choices: cut expenses or increase revenues. Monopolies, cartels and governments can increase revenues by increasing taxes or the price of goods and services because users / customers / taxpayers have no alternative. The rest of us have to cut expenses.
Making lasting cuts in expenses generally requires reducing sources of expense, and within institutions and enterprises, complexity is one systemic source of expense. But reducing complexity is difficult, so it’s rarely pursued unless the only remaining choice is bankruptcy / collapse.
The problem is there are many constituencies defending complexity and none favoring slash-and-burn reductions of complexity. As a result, complexity is defended and the core functions of the institution are sacrificed instead.
I’ve posted the charts below reflecting the extraordinary expansion of administrators in higher education and healthcare in the context of the Ratchet Effect and bureaucratic bloat.
The Ratchet Effect is: costs and complexity only increase, they never decrease because organizations are optimized to expand, not shrink, and so there are no institutionalized pathways to reducing complexity and costs.
Everybody clamors for a larger budget and another assistant. Nobody clamors for a radically reduced budget and staff.
This raises a question few seem to ask: what happens when complexity unravels?
Why will complexity unravel? The answer is simple: it costs too much, and supply-side and labor costs are rising. Something’s gotta give, and that something will be complexity.
Complexity serves us well when it radically increases productivity. But this type of complexity is rare. Most complexity is self-serving waste and friction that reduces the productivity of labor and capital.
Labor has been suppressed for 45 years, and now labor costs must rise so workers can afford a higher cost of living.
Costs will rise inexorably for another reason: supply chains have been optimized for a perfect world of endless expansion. Barry Lynn, executive director of the Open Markets Institute, summarized the dynamic nicely: « Corporations have built the most efficient system of production the world has ever seen, perfectly calibrated to a world in which nothing bad ever happens. »
Recalibrating every corporate supply chain for all the bad things that are happening will cost a fortune.
These costs will be passed on to consumers, but as the purchasing power of wages declines, there will be limits on how much consumers will be able to pay.
These higher costs will depress profits which will depress employment and tax revenues.
Corporations have two pathways: one is to cling to the old model and go bankrupt (or decay to irrelevance) or radically reduce costs by reducing unproductive complexity.
Corporations have been able to borrow vast sums to mask their insolvency but now that the cost of credit is soaring, that door to zombie-corporate-Nirvana has closed.
Stripped of the option of cheap borrowing, corporations will have to adapt or perish. Yes, it really will be that simple. Enterprises that burn through their capital run out of money and vanish.
Public organizations have long been optimized to increase their revenues and complexity because an expanding economy also expands tax revenues. Nothing boosts local tax revenues like a real estate bubble, and nothing boosts state income taxes like a speculative bubble in stocks, cryptocurrencies, etc.
But all bubbles pop, and public agencies are incapable of reducing their budgets, staff and complexity, because one politically influential constituency or another favors every program. So there’s no way to trim anything without igniting a political firestorm as whatever sacred-cow program that gets trimmed arouses the constituency committed to preserving that sacred-cow.
But beneath the surface, the administrators protect their fiefdom by slashing staff that actually does the real work.
So universities cut tenured teaching positions in order to maintain administrator positions.
Healthcare cut physicians and nurses to maintain administrator positions.
Building departments cut onsite building inspectors to maintain administrator positions.
And so on. Lifeguards will be cut, library hours slashed, etc., while administrative positions remain (behind the screen of public-relations) largely untouched because all the complexity and political battles must be managed.
The net result is critical systems will be hollowed out and cease functioning. Those of us who depend on these systems will have to find workarounds.
When it takes six months to get a building inspection before you can pour a foundation slab, the workaround will be to just build the house: forget getting permission, just ask for forgiveness. That process will probably take years.
When there’s a six month wait to see a physician, the workaround will be to pay cash.
In other words, all the complexity will remain firmly in place because somebody somewhere will wage ruthless political warfare to keep it, making it impossible to resize the system to fit available resources.
Those with the power to protect their jobs will make the unstated choice to throw everyone without the power to protect their income overboard to save themselves.
Meanwhile, the solution is obvious to administrators: raise taxes and fees to get more money out of all those rich folks, i.e. anyone who owns a house, has a good job, etc.
You’re welcome, Tax Donkeys. We had to double your property, sales and income taxes to fund essential programs.
Things will fall apart behind the screen of normalcy. Cities double their business license fees, raise other fees (for trash collection. etc.) by 20% a year, year after year. The real budget crises are still ahead. The tax donkeys who’ve had enough will vote with their feet, moving away, forcing cities and counties to raise taxes and fees on the remaining tax donkeys.
This is how complexity unravels. Agencies’ ability to manage their budgets and employees decays, hiding the reality they lack the structure or the will to downsize their complexity and costs to protect the agency’s core functions.
All the compliance and reporting will be cobbled together to maintain the desired appearance, i.e. the illusion of precision in two-inch thick financial statements.
The appearances of fulfilling all the requirements of complexity will be maintained. The constituencies defending each sacred-cow will be placated, even as the system supporting all the sacred-cow programs collapses behind the PR screen.
Those glancing at the appearances will be assured all is well and it will all sort itself out. Those who look behind the screen will move away as fast as they can.




