L’antidote au Forum Économique Mondial – par Elliott Freed.

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L’antidote au Forum Économique Mondial

Il ne peut en rester qu’un: Graeber contre Harari

Elliott Freed

22 octobre 2022

Dans son dernier livre, « The Dawn Of Everything » [L’aube de tout], l’anthropologue David Graeber et son partenaire d’écriture, l’archéologue David Wengrow, démontrent que notre précédente compréhension de l’histoire était erronée.

Ils décrivent comment le cadre de base de notre compréhension du passé humain a été créé par Jean-Jacques Rousseau, d’une part, et Thomas Hobbes, d’autre part. Ces deux hommes écrivaient des récits hypothétiques dans le contexte d’une vision biblique de l’humanité remise alors en question par la rencontre des Européens avec l’hémisphère occidental. Ils n’écrivaient pas l’histoire en tant que telle. Ils essayaient simplement de concilier leur compréhension antérieure de l’humanité, telle qu’elle découlait de l’étude de la Bible et d’une poignée d’auteurs classiques tels que Platon et Aristote, avec les nouvelles preuves issues du contact avec des sociétés totalement différentes.

Ils ne traitaient pas d’histoire réelle, ni même de quoi que ce soit de réel, si ce n’est de leurs propres préjugés et de leurs réflexions infondées. Pourtant, pendant des siècles, leurs écrits ont été considérés comme la représentation exacte du passé de l’humanité et de son évolution sociale jusqu’à aujourd’hui. Pour ne pas être injuste envers Hobbes et Rousseau, l’étude disciplinée et académique de l’histoire n’existait pas vraiment à leur époque, et une grande partie de ce qui passait alors pour de l’histoire était exactement ce à quoi ils participaient, des spéculations fantaisistes dans le but d’avancer des arguments contemporains.

Depuis lors, et en particulier depuis le milieu du XIXe siècle, nous avons découvert un vaste trésor de nouvelles preuves et d’informations sur les sociétés anciennes et préhistoriques du monde entier. Bien qu’il subsiste d’importantes lacunes dans nos connaissances, au moins disposons-nous aujourd’hui de quelques connaissances. Nous ne sommes plus obligés de nous fier uniquement à nos suppositions basées sur nos propres expériences limitées. Nous pouvons examiner les vestiges de milliers de cultures et de civilisations antérieures et nous faire une idée de ce qu’a vraiment été le passé de l’humanité.

Alors qu’auparavant nous nous contentions de défendre nos propres points de vue en commençant notre argumentation par l’expression « à l’époque », nous pouvons aujourd’hui regarder en arrière et nous faire une idée de ce que nous avons été. Cela nous permet également de prendre conscience de potentiels qui ne seraient autrement pas visibles dans notre monde contemporain. Ce que nous prenions pour les limites naturelles de l’humanité ne sont en fait pas des limites réelles, mais seulement des lacunes dans notre connaissance et notre compréhension de nous-mêmes et des limites à notre capacité d’imaginer ce que nous pourrions être d’autre.

Il est surprenant de constater qu’en dépit de près de deux siècles d’informations nouvelles, peu de membres du monde universitaire ont tenté de procéder à une révision aussi complète. Ils ont tendance à esquiver la vue d’ensemble et à se concentrer sur leur spécialité. Ou, comme Yuval Noah Harari en a l’habitude, ils persistent à inventer des théories sorties de nulle part, basées sur des preuves soigneusement sélectionnées ou même sur des preuves inexistantes, ou en ignorant des preuves qui existent bel et bien.

Plus je lis Graeber, plus je le considère comme l’antithèse de Harari et de ses sbires du Forum Économique Mondial. La vision de l’humanité de Graeber pourrait même être l’antidote à la vision des sbires du Forum Économique Mondial et nous guider à l’opposé de la direction qu’ils voudraient nous voir prendre.

On pourrait dire de Harari qu’il est le théoricien historique préféré des 0,01 %, celui qui concocte les absurdités qui conviennent à ses patrons, et de Graeber qu’il devrait être le théoricien historique préféré de tous les autres, celui qui se sert de preuves historiques réelles pour plaider en faveur d’un ordre social plus humain, plus souple, plus dynamique et plus juste. C’est Graeber qui a été le premier à employer l’expression « quatre-vingt-dix-neuf pour cent » pour désigner ceux d’entre nous qui ne sont pas favorisés par les membres du FEM, leurs entreprises et leurs gouvernements.

Graeber a souvent été qualifié d’anarchiste. Je crois savoir que cette étiquette ne lui convenait pas tout à fait. Bien que je comprenne pourquoi elle lui a été attribuée, je pense qu’un mot plus précis et plus général pour le catégoriser, ainsi que sa vision et son travail, est humaniste.

Graeber est un humaniste et propose une vision humaniste de l’humanité. Bien qu’il se concentre souvent sur la question de l’inégalité, et qu’il puisse donc être considéré comme un anarchiste ou un opposant à l’inégalité, il revient toujours sur le fait que celle-ci est préjudiciable à notre humanité, individuellement et collectivement.

Dans ma lecture de son œuvre, son opposition fondamentale ne semble pas tant porter sur l’inégalité que sur les êtres humains qui font souffrir inutilement d’autres êtres humains. Cela semble se produire en particulier dans le cadre de la dynamique du pouvoir et de l’inégalité financière excessive, mais c’est la souffrance inutile elle-même qui est sa cible principale.

Indépendamment de ses préférences personnelles, il est l’un des anthropologues les plus compétents de notre époque et en revient toujours aux preuves elles-mêmes. Quelles sont ces preuves? Que pouvons-nous en savoir? Que pouvons-nous savoir grâce à elles? Quelles sont les questions qui se posent? Quelles hypothèses pouvons-nous formuler? Où pouvons-nous chercher des preuves à l’appui ou à l’encontre de nos hypothèses? Il pose ces questions fondamentales que nous avons tous apprises en cours d’histoire élémentaire et s’en tient rigoureusement à la vérité connaissable, en admettant clairement le fait qu’il émet parfois lui-même des hypothèses et les limites de ce que nous pouvons savoir.

Je viens de terminer le troisième chapitre du livre. Je suis heureux qu’il me reste encore beaucoup à lire, car il excelle dans l’art de raconter des histoires et il est toujours agréable de lire un livre et d’apprendre de son professeur. Sa thèse principale semble toutefois déjà assez claire.

Tout au long de l’histoire de l’humanité, nous avons connu une grande variété d’arrangements sociaux, les peuples anciens et préhistoriques étaient aussi intelligents que nous et, selon toute vraisemblance, souvent plus conscients des enjeux politiques, et les structures de pouvoir social étaient beaucoup plus fluides et beaucoup moins extrêmes qu’elles ne le sont aujourd’hui. En fait, la situation actuelle semble être une anomalie et non le résultat d’une trajectoire de développement.

La lecture de tous les exemples d’arrangements sociaux différents que les humains ont consciemment cultivés au cours des derniers dizaines de milliers d’années, tels que décrits dans le troisième chapitre, me donne de l’espoir pour l’avenir de l’humanité. Ce que nous vivons aujourd’hui donne à beaucoup d’entre nous l’impression que nous arrivons à un crescendo intolérable et que tout va bientôt s’effondrer. Il semble difficile d’imaginer ce qui va suivre. Si je ne crois pas que nous reviendrons nécessairement à quelque chose de notre passé, le fait de lire à quel point nous avons par le passé fait preuve de dynamisme, de réactivité et de créativité me donne beaucoup d’espoir quant à la manière dont nous réagirons alors que notre ordre social actuel continue de se désintégrer.

Cela me donne également des idées sur les directions que nous pourrions prendre et sur lesquelles j’essaierai peut-être d’écrire plus en détail à l’avenir.

Nous vivons une époque difficile. Les anciens systèmes d’information s’effondrent, et nous pouvons maintenant y voir suffisamment clair pour constater qu’ils étaient en grande partie constitués de mensonges. Ils sont remplacés par un ensemble de nouveaux systèmes d’information. Ces nouveaux systèmes consistent en des informations de qualité très variable. La plupart d’entre elles sont de très mauvaise qualité.

Ce n’est pas seulement l’information elle-même qui est en cause. Une pile de données est aussi insignifiante qu’une pile de copeaux de bois. C’est lorsque nous parvenons à organiser les morceaux de bois selon certaines formes que nous obtenons une belle maison.

Il en va de même pour les données. Il faut les organiser en histoires exploitables. C’est-à-dire des histoires sur lesquelles nous avons prise, qui nous permettent de reconnaître notre participation à la création du monde dans lequel nous vivons aujourd’hui et nos possibilités de participer à la création du monde dans lequel nous nous réveillerons demain.

David Graeber fait la synthèse de tout cela. Il découvre des informations de première qualité sur le cours de l’histoire de l’humanité. Il intègre le tout dans un récit compréhensible. Et il nous place au centre de ce récit, en reconnaissant nos pouvoirs d’enjouement, de créativité, d’adaptabilité, d’intelligence, de relation et tant d’autres caractéristiques et qualités dont nous devrons tirer le meilleur parti dans les années à venir, alors que nous travaillerons ensemble à créer.

Je vous remercie de vous être joints à moi pour cette conversation,

Bien à vous,

Elliott Freed

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