Peuple à vendre.

L’inénarrable Amir Weitmann – qui va défaire l’Armée Rouge avec son pistolet à bouchon – nous revient avec une nouvelle et brillante idée1. Cette idée est articulée dans un document de l’Institut pour la Sécurité Nationale et la Stratégie Sioniste. L’original étant en hébreu, je ne dispose que de quelques passages traduits dans des articles pro-Palestiniens (ici, ici et ici), c’est-à-dire de l’opposition contrôlée de gauche – mais qui n’est pas contrôlé de nos jours?

M. Weitmann propose de reloger les 2,3 millions d’habitants de Gaza dans les nouvelles villes satellites construites autour du Caire, ce qui, selon lui, coûterait entre 5 et 8 milliards de dollars.

« En stimulant immédiatement l’économie égyptienne, le régime du président égyptien Abdel Fattah El-Sisi en tirerait un avantage considérable et immédiat », écrit-il.

M. Weitmann a ajouté qu’il n’était pas certain qu’une telle occasion fortuite de reconquérir Gaza se représenterait un jour; par conséquent, « c’est maintenant qu’il faut agir ».

« Il s’agit d’une solution innovante, peu coûteuse et durable », indique le rapport. « Au fil du temps, il s’agit en fait d’un investissement très rentable pour Israël… Gaza fournirait des logements de haute qualité à de nombreux citoyens israéliens ».

Nous voici donc plongés d’emblée dans le monde des affaires. Ça nous donnera un peu de hauteur de vue sur les événements tragiques actuels, qui ne seront pas perdus pour tout le monde. Les investisseurs qui avaient été priés de patienter dans les starting-blocks pendant que se déroulait l’opération de concassage de l’Ukraine peuvent ici se mettre à chiffrer dès maintenant la rentabilité de leur prochain investissement à Gaza, avant même que l’endroit soit rasé et débarrassé de ses indigènes2. On notera qu’entre l’expropriation des paysans hollandais, les quartiers détruits par BLM aux États-Unis, le malencontreux incendie à Maui et maintenant le « nettoyage ethnique », le Build Back Better et le « durable » sont décidément des secteurs très rentables, financièrement parlant, ce qui n’a pas échappé à M. Weitmann dont on ne peut que reconnaître le mérite d’une certaine clarté dans ses priorités.

J’imagine que les « logements de haute qualité » seront destinés à une classe aisée qui viendrait y chercher le calme (avec vue sur la Méditérannée) mais quitte à ce qu’ils soient prêts à souffrir un afflux de touristes, j’ai moi-même quelques idées pour en réduire le coût, idées que je mets gratuitement à disposition de M. Weitmann:

  • création d’un mémorial du 7 octobre (entrée payante), avec visite en réalité virtuelle des événements de la journée, cartes postales, souvenirs;
  • vente de jeux vidéos (un soldat de l’IDF traque en FPS les membres du Hamas dans les souterrains de Gaza);
  • monument aux martyrs entouré d’établissements de restauration, commerces, garderies…

Vous trouvez ça de mauvais goût? Attendez seulement la suite.

Le projet de M. Weitmann n’est pas le seul:

Le quotidien israélien Calcalist a fait état d’une proposition élaborée par la Ministre israélienne du Renseignement, Gila Gamliel, qui recommandait au cabinet le transfert des habitants de Gaza vers le Sinaï, en Égypte, à l’issue de la guerre.

Le document vu par Calcalist comporterait le logo du ministre du Renseignement et aurait été distribué dans les ministères pour consultation. Il a été divulgué à un mouvement de colons connu sous le nom de « Settlement Headquarters – Gaza Strip », qui fait campagne pour le rétablissement des colonies dans le territoire. Israël a retiré ses colons de Gaza en 2005.

Le quotidien israélien a noté qu’en fin de compte, le document n’affecterait peut-être pas la politique du gouvernement, mais qu’il était possible qu’il ait été rédigé pour « soutenir » le « mouvement extrémiste des colons ».

Le rapport Gamliel indique que la meilleure issue possible à la guerre d’Israël « qui produira des résultats stratégiques positifs et à long terme » est le transfert des Palestiniens de Gaza vers la péninsule du Sinaï.

Ce transfert se ferait en trois étapes. L’établissement de villes de tentes dans le Sinaï au sud-ouest de la bande de Gaza, la création d’un « corridor humanitaire » par lequel les Palestiniens seraient autorisés à fuir, puis la construction de villes dans le nord du Sinaï.

Enfin, Israël établirait un no man’s land de plusieurs kilomètres de profondeur à l’intérieur du territoire égyptien afin de s’assurer que les Palestiniens ne puissent pas revenir.

Le document appelle également à une coopération entre Israël, les pays arabes et les pays européens pour accueillir les Palestiniens déplacés.

Voilà qui ne plaîrait guère aux pays arabes, qui ne veulent pas de Palestiniens chez eux, ni aux pays européens, déjà très sollicités question migrants, écueil que le projet de M. Weitmann évite habilement:

Le document affirme avoir conçu un plan « durable et économiquement réalisable » pour expulser la population de Gaza, qui s’aligne également sur les « intérêts géopolitiques » d’Israël, de l’Égypte, de l’Arabie saoudite et des États-Unis.

Le document suggère que les Palestiniens soient logés dans les deux plus grandes villes satellites du Caire, le 6 octobre et le 10 ramadan. Ces deux villes portent le nom de la guerre de 1973 contre Israël, dont le 30e anniversaire a été célébré la veille de l’attaque palestinienne.

Selon le rapport, il y a suffisamment d’appartements pour loger six millions de personnes, mais ils sont en grande partie vides parce que les Égyptiens ordinaires n’ont pas les moyens de se les offrir.

De nombreux appartements de la nouvelle cité du 6 octobre en Égypte restent vides (documentation promotionnelle de la présidence égyptienne).

Chaque unité de logement coûtant environ 19 000 dollars, le rapport estime que le coût du logement des Palestiniens de Gaza dans la banlieue du Caire s’élèverait à 8 milliards de dollars.

Cette somme représente 1,5% du PIB israélien et peut être « facilement financée » par l’État, ajoute le rapport.

Le rapport affirme que l’état désastreux de l’économie égyptienne pourrait convaincre Le Caire d’examiner l’offre. Si nécessaire, Israël pourrait même envisager de lever jusqu’à 32 milliards de dollars pour convaincre l’Égypte d’accepter le projet.

[…]

L' »investissement » d’Israël en Égypte servirait également l’Europe en stabilisant l’économie du pays et en contribuant à endiguer la marée migratoire, selon le rapport.

L’Arabie saoudite pourrait également bénéficier de cette proposition, ajoute le rapport.

Tout d’abord, étant donné que les actions israéliennes à Gaza attisent régulièrement les tensions dans le monde arabe, le retrait des Palestiniens permettrait de « promouvoir la paix avec Israël sans l’interférence incessante de l’opinion publique locale ».

Deuxièmement, le rapport note que la population de Gaza pourrait être embauchée par l’Arabie saoudite comme main-d’œuvre bon marché pour travailler sur des projets de construction dans tout le pays, y compris la construction du projet phare de Neom.

De plus,

Le nettoyage ethnique de Gaza signifierait la fin des « combats incessants et répétés qui attisent les feux de la haine contre Israël ». En outre, « le règlement de la question de Gaza garantira un approvisionnement stable et accru de l’Égypte en gaz israélien et sa liquéfaction », à partir des vastes réserves saisies par Israël près des côtes de Gaza.

Que demander de plus?

  • une relocalisation tout frais payés par Israël, plus un joli bakchich et de l’énergie à la clé;
  • pas de migrants supplémentaires en Europe;
  • la fin des critiques envers Israël du traitement infligé aux Palestiniens;
  • et pour les Palestiniens, des cités coquettes, toutes neuves – pas tellement plus sinistres que les buildings de Gaza – en guise de logement social et un travail (mal payé) assuré, c’est-à-dire le traitement standard des migrants de par le monde.

D’autant que la situation semble se dégrader de jour en jour, ce qui inviterait une réaction immédiate:

Alors que le monde se concentre sur les horreurs de Gaza, les soldats et les colons israéliens ont tué plus de 100 Palestiniens et en ont blessé près de 2 000 autres dans la Cisjordanie illégalement occupée, où les colons juifs menacent de déclencher une « grande Nakba » si les résidents arabes ne font pas leurs valises et ne quittent pas définitivement leurs maisons et leurs fermes pour fuir vers la Jordanie voisine.

« Courez en Jordanie avant que nous ne tuions nos ennemis et que nous ne vous expulsions de notre Terre sainte, qui nous a été promise par Dieu », peut-on lire sur un tract distribué par des colons à Salfit.

La journaliste canadienne d’Al Jazeera, Sana Saeed, a averti qu' »une deuxième Nakba est en train de se construire sous nos yeux ».

Jeudi, près de Marjat, des colons ont laissé des poupées couvertes de sang ou d’une substance censée l’imiter sur le sol ou suspendues devant l’entrée d’une école.

Vendredi, des colons en tenue militaire ont envahi Marjat, accrochant des drapeaux israéliens à une maison proche de l’école où les poupées ensanglantées ont été trouvées.

Malheureusement, ce n’est pas si simple.

Le roi Abdallah de Jordanie a déclaré la semaine dernière que le déplacement forcé de Palestiniens dans son pays constituerait un crime de guerre.

Au début du mois, [le président égyptien Abdel Fatah] El-Sisi a également rejeté avec véhémence l’idée d’une réinstallation forcée des Palestiniens dans le Sinaï.

« Transférer les réfugiés de la bande de Gaza vers le Sinaï reviendrait simplement à déplacer leur résistance », a déclaré le président dans un discours télévisé le 18 octobre, « transformant le Sinaï en rampe de lancement pour des opérations contre Israël et accordant à ce dernier le droit de se défendre et de défendre sa sécurité nationale en menant des frappes sur le territoire égyptien en guise de représailles ».

Les dirigeants égyptiens s’insurgent contre les suggestions occidentales d’accueillir des réfugiés palestiniens. Un haut diplomate du Caire aurait ainsi déclaré à un homologue de l’Union européenne [NdT. il s’agirait de mon compatriote Charles Michel] en début de semaine: « Vous voulez que nous accueillions un million de réfugiés palestiniens? Eh bien, je vais les envoyer en Europe. Vous vous souciez tellement des droits de l’homme – eh bien, accueillez-les ».

Les Palestiniens, tout le monde les plaint mais personne n’en veut chez soi.

Un peu comme les juifs dans les années ’30.


  1. Cet aide de camp du Premier Ministre est décidément très actif en ce moment, à croire qu’il voudrait devenir calife à la place du calife. ↩︎
  2. … qui, selon la définition d’Ambrose Bierce, sont des « gens de peu de valeur, encombrant le sol des contrées nouvellement découvertes » – statut malgré tout plus enviable que celui des Palestiniens, qui, nous dit-on, sont des « animaux », le résultat restant le même: « Bientôt, ils ne l’encombrent plus, ils le fertilisent ». ↩︎

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